Un texte retrouvé dans les archives de ma messagerie et probablement écrit en mai 2010, dans les environs de Nkol Messeng. Écrit il y a peu de temps mais déjà bien loin. Je constate qu’on est encore dans l’élan lyrique de la découverte ! Soyons honnêtes et publions donc ces quelques lignes, elles avaient au moins le mérite de la sincérité...
Ce que j’aime profondément au Cameroun c’est que la littérature est et a toujours été là. Ce que je regrette au Cameroun c’est que les livres ayant porté cette littérature sont soit cachés, soit disséminés de ci et de là, comme un jeu de piste littéraire. Intéressant jeu de piste pour un chercheur, mais recherche décourageante pour un lecteur oisif !
Je peux pourtant vous jurer que depuis quatre ans que je me passionne pour le livre et la littérature au Cameroun, je n’ai de cesse d’être surpris, émerveillé, bousculé par ce monde étonnant que représente le milieu du livre camerounais. Des éditeurs portent le flambeau des littératures de la place dans des conditions de travail souvent harassantes, souvent sans la moindre aide d’aucune institution culturelle nationale ou extérieure. Mais ces derniers continuent à publier sans trêve des nouveaux titres s’insérant dans un corpus toujours plus vaste.
J’ai par ailleurs cessé de me plaindre de tout et de rien depuis deux années. En fait, depuis que j’ai mis pour la première fois le pied dans le monde du livre camerounais. Je vous jure ! Des conditions harassantes pour que vive une production littéraire exhaustive, cherchant pêle-mêle la nouveauté, le classicisme, la bien-pensance, l’engagement. Cette littérature du Cameroun a une histoire, et je ne sais bien si celle-ci commence en 1896 avec le Besesedi Ba Yehova de Yoshua Dibundu, ou bien dans les pages de la Gazette du Cameroun en 1923 à travers Les aventures de Moussa, ou encore avec le fameux Nnanga Kon de Jean-Louis Djemba Medou honoré du prix Margaret Wrong en 1932. Mais ce que je sais, c’est que le livre camerounais nous conte l’histoire pas toujours joyeuse d’une entreprise culturelle et littéraire voulant exister et parvenant à progresser, à se renouveler, à voyager aussi, petit à petit.
J’ai découvert depuis quatre années que le Cameroun héberge la production de nombreux éditeurs. Parmi ceux-ci les édition Ifrikiya, Clé, Lupeppo, Terres Africaines, Afredit, Sopecam, Tropiques, le Collectif A3, Les Presses Universitaires de Yaoundé, Les Presses de l’Université Catholique d’Afrique Centrale, l’Harmattan Cameroun, Les Presses Universitaires d’Afrique, Les Cahiers de l’Estuaire, Cosmos, Macmillan, Anucam, Cambridge, Menaibuc. Et j’en oublie surement !
Non contente d’exister aujourd’hui, cette édition était déjà là sous d’autres bannières dès les années 1940, mais il importe alors d’en retrouver les traces.
Une reconnaissance de l’histoire littéraire camerounaise et un essor du livre local dans une priorité locale sont les conditions sine qua non de la validation d’un développement d’un véritable champ littéraire camerounais. Un espace qui comporte son lot de richesse, de diversité et de disparité ; son lot de défauts aussi, pourvu que le corpus littéraire camerounais puisse viser l’excellence dans une stimulation de concurrence au sein d’un marché littéraire exigeant.
Plus les éditeurs sont nombreux à prendre en charge la création littéraire et plus ces derniers doivent redoubler d’efforts, s’ils veulent faire lire de plus en plus leurs livres dans leur pays, pour que les lecteurs puisent dans leurs catalogues une certaine dose d’excellence, et plus la concurrence est alors bénéfique pour la création.
Un milieu non concurrentiel sur l’exclusive qualité ne laisse que des acteurs esseulés, stimulés par leur foi dans l’art peut être, dans leur entreprise toujours, dans leurs objectifs commerciaux nécessairement, mais ceci ne suffit pas toujours…
Les idéaux d’une édition ne se bâtissent pas dans un rassemblement à paillettes ou une expatriation de prestige, nous le dirons ainsi : ils se livrent corps et âme au soufre d’un marché, à l’assaut d’une forteresse encore imprenable : le lectorat camerounais.
Une littérature écrite pour d’autres est une littérature morte à sa propre histoire. Une édition bâtie sur des soutiens exclusivement extérieurs et pour des institutions internationales est une édition qui cherche à grandir en oubliant que ses pieds sont faits d’argile.
Qui lit aujourd’hui et qui lira demain au Cameroun, voici les questions que je me pose. Et j’aimerais par là penser que Mongo Beti, Bernard Fonlon, René Philombe et les autres regardent avec espoir et envie cette fourmilière littéraire camerounaise, là où ils se trouvent. Mais j’espère aussi que les auteurs de demain choisiront de vivre corps et âme l’aventure littéraire au Cameroun, et non en France, aux États-Unis ou ailleurs. J’ai des doutes certains sur l’avenir d’un système littéraire ne pensant qu’à multiplier ses chiffres de vente à l’export sans exister chez lui-même.
Peu importe l’économie du livre si le livre doit perdre son âme en désirant la seule économie ! Dans ma région natale, la Provence, Frédéric Mistral, très grand auteur qui se réclamait du félibrige, recevait en 1904 le quatrième prix Nobel de littérature pour l’ensemble de son œuvre en langue provençale. Dans cette même région aujourd’hui – mon pays – plus personne ne parle ni ne lit le Provençal. Nos racines coupées notre histoire s’est brisée, et nous n’appartenons plus à notre terre d’origine littéraire. Nous appartenons désormais à une nation littéraire française un peu vague dont nous ne connaissons pas le quart des régions et des visages culturels.
Je ne suis pas un fervent partisan d’espaces littéraires trop larges. En mon sens, la francophonie n’est rien, pas plus que le monde anglo-saxon, pas plus qu’il n’existe une « camerounophonie » ou un « Tout-Monde littéraire ». Non, les langues d’écriture et d’édition ne sont rien si ces dernières ne cherchent qu’à satisfaire des ambitions strictement vénales et exclusives d’une allégeance institutionnelle. L’édition se doit de prendre acte que seule l’expression compte. Cette expression sacrée, située au centre de chaque individu. L’expression qui compose chaque fibre des différents visages d’une société camerounaise multiple, bruissant des lumières de l’histoire personnelle que chaque auteur porte en baluchon, sur son épaule.
L’édition camerounaise peuple peut-être encore ses rêves des poussières occidentales. Elle baigne peut-être toujours son histoire d’une nostalgie d’années littéraires dorées par le souvenir. Méfions-nous du souvenir ! Ne cherchons pas systématiquement l’inspiration ailleurs. L’édition a ceci de dangereux qu’elle réfléchi en termes de solvabilité sur des échelles commerciales lorsqu’elle ne parvient plus à définir son identité littéraire, faute de se rappeler qu’hier n’était pas meilleur si hier n’a pas porté ses fruits. Et demain ne sera pas plus grand si l’on ne hisse pas la littérature à la hauteur des cimes les plus élevées.
Prenons garde aux modèles, modèles du passé, modèles d’autre part. L’édition saine ne se bâtira que sur ses propres convictions, sa foi en son bien fondé, en son autonomie. Les éditeurs ont à charge de viser l’excellence. Une fois l’excellence atteinte, il faut viser encore plus haut que tout cela.
Quelle est cette bibliothèque camerounaise idéale que je me constituerais si l’on m’en laissait le temps et les moyens ? C’est peut être la bibliothèque qui contiendrait aussi bien les ouvrages de Jérémy Angounou Mvele, René Philombe, Charles Atang Na Tsana, Engelbert Mveng, Hegba Meinhard, Patrice Kayo, Jean Baptiste Obama, François Sengat-Kuoh, Eno Belinga, Nkulngui Mefana, Kouam Tawa, Thomas Melone, Yoshua Dibundu, Bernard Fonlon, Jean Mirabeau Nana, Charles Tenguene, Pabe Mongo, Guillaume Oyono Mbia, Désiré Naha, Etienne Yanou, Joseph Fumtim, Patrice Nganang, Francis Bebey, Isaac Moumé Etia, Kouam Tawa, Anne Cillon Perri, François Nkémé, Marcel Mvondo II, Jeanne Mvotto Bina, Thimothée Ndzaagap, Jean-Claude Awono, etc. Mais je rêve sans doute.
C’est pourtant cette bibliothèque qui rendrait compte des littératures éditées, écrites aujourd’hui et qui seront écrites au Cameroun bientôt. Cette bibliothèque qui constituerait une véritable histoire littéraire. Mais c’est surtout la bibliothèque qui embrasserait plusieurs milliers d’histoires, plusieurs millions de rêves, plusieurs milliards d’espoirs. Non pas au Panthéon des littératures nationales, des littératures mondes, des littératures univers, mais au plus profond des villages camerounais. Une histoire circulant entre des mains usées d’avoir supporté l’effort des années, et celles qui écriront les livres camerounais de demain.
R.T.
Auto-critique :
1. autant éviter de trop donner de naïves leçons !
2. autant éviter de trop en faire dans le militantisme sentimental.