Illustration : « FAQs on Keyboard ». Crédits : photosteve101, 2011 (certains droits réservés.)
L’édition africaine reste, curieusement, un sujet qui suscite bien des questionnements généraux, parfois naïfs. Jamais inutiles cependant, si l’on prend un peu le temps d’y réfléchir. Après tout, ne devrions-nous pas déjà oublier le terme « d’édition africaine » mais plutôt parler « d’édition camerounaise », « édition nigériane », « édition algérienne », etc. ? Alors que la foire du livre de Francfort s’ouvre aujourd’hui même, laissant les éditeurs africains dans l’ombre de la littérature francophone publiée en France, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de proposer une forme de Foire Aux Questions et de tenter d’y apporter des éléments de réponse, du moins à la hauteur de mon point de vue. Cette FAQ est publiée en série sur EditAfrica. Quatrième et dernière touche (pour le moment).
Question : y a-t-il un problème avec la diffusion du livre en Afrique et le développement des librairies en ligne représente-t-il un tournant ?
Je dirais oui et non. Il existe aujourd’hui des projets qui fonctionnent et font chaque jour la preuve de leur absolue nécessité, à l’image de l’African Books Collective et de Bookwitty (plateforme l’Oiseau Indigo/Les Classiques Ivoiriens). Il y a une multitude d’éditeurs africains qui dépassent en permanence le paradigme Nord-Sud et la problématique des frontières. Une maison d’édition comme Amalion au Sénégal est ainsi diffusée aux États-Unis, au Royaume Uni, à travers l’Afrique et dans toute la francophonie, tout en proposant un catalogue très pointu, et une politique éditoriale 100% africaine. Le projet Ifrikiya au Cameroun a su « rapatrier » des textes de la diaspora littéraire camerounaise, et rayonner dans son pays comme à l’étranger. Ces projets restent certes limités au niveau international par le peu de soutiens institutionnels, mais attestent d’une visibilité de l’édition africaine in and out. Ensuite, il est nécessaire de pointer du doigt l’énorme déficit des politiques documentaires : il n’y a que la Bibliothèque du Congrès qui ait installé une politique d’acquisitions africaines globale et durable, avec notamment une base arrière au Kenya pour mieux percevoir la production africaine. En France, il n’y a que la Bibliothèque Universitaire des Langues et Civilisation qui achète des ouvrages africains, par l’intermédiaire d’un distributeur dont l’équipe est russe et installée… au Canada. S’agissant de la diffusion, il est fascinant et terriblement désolant de voir les centaines de millions d’euros d’ouvrages qui voyagent chaque année du Nord vers l’Afrique à travers des projets de don de livre (livres gratuits donnés dans les écoles et les bibliothèques africaines et étouffant souvent la production locale du livre). Pourquoi la diffusion est-elle possible -et facile- lorsqu’il s’agit d’ouvrages donnés en Afrique, mais apparemment impossible lorsqu’il s’agit de développer une circulation multilatérale du livre africain ? Cela n’a pas de sens.
Concernant les librairies en ligne, un des exemples les plus marquant de ces dernières années est certainement le projet eKitabu au Kenya, mais on pourrait aussi parler de la Librairie Numérique Africaine au Sénégal, ou de Bookwitty que j’ai déjà évoqué dans la FAQ 3. Ce ne sont d’ailleurs que des exemples parmi tant d’autres au Nigeria, en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, etc. Je pense que ces projets apportent des opportunités de visibilité autant que de mise en lumière d’autres usages (lecture sur smartphone, par exemple). Je pense aussi que de telles initiatives démontrent l’existence d’une diversité du livre encore mal perçue à l’heure de la mondialisation et de ses inégalités.
Question : le numérique représente-t-il une solution aux problèmes du livre en Afrique, en particulier vis à vis du transport ?
Le numérique n’est pas une révolution, il est une simple nouvelle dynamique à l’intérieur d’une économie du livre traditionnelle et, sans doute, vieillissante. Le numérique apporte une opportunité à partir du moment où l’écosystème bancaire suit. S’il est impossible à un éditeur africain de créer un compte Paypal pour recevoir des achats via sa plateforme de vente en ligne et faute d’accords entre Paypal et certaines banques africaines, comment le numérique peut-il permettre de dépasser le vieux problème des frontières ? Concernant les initiatives développées par des éditeurs, je renverrai au travail d’Octavio Kulesz, spécialiste des usages numériques dans les pays en développement et membre de l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants. Sur ce dernier point et sur un plan strictement littéraire, je m’interrogerai : le numérique apporte-t-il une véritable nouveauté dans la géographie mondiale du livre si la production africaine est rendue invisible par l’immensité des flux d’Amazon ? Est-elle d’avantage visible parce que digitalisée (ou vendue en ligne) si le lecteur mondial ne la perçoit encore que comme un anachronisme ? Le développement numérique doit être accompagné par un effort de promotion, lequel ne peut être durable que s’il est relayé par les institutions. Conakry capitale mondiale du livre pourrait ici représenter une opportunité, mais avouons-le, on n’en entend pas tellement parler depuis l’inauguration en avril 2017.