Illustration : « FAQ Frequently Asked Questions 46/365 ». Crédits : airpix, 2017 (certains droits réservés.)
L’édition africaine reste, curieusement, un sujet qui suscite bien des questionnements généraux, parfois naïfs. Jamais inutiles cependant, si l’on prend un peu le temps d’y réfléchir. Après tout, ne devrions-nous pas déjà oublier le terme « d’édition africaine » mais plutôt parler « d’édition camerounaise », « édition nigériane », « édition algérienne », etc. ? Alors que la foire du livre de Francfort s’ouvre aujourd’hui même, laissant les éditeurs africains dans l’ombre de la littérature francophone publiée en France, j’ai pensé qu’il pourrait être intéressant de proposer une forme de Foire Aux Questions et de tenter d’y apporter des éléments de réponse, du moins à la hauteur de mon point de vue. Cette FAQ est publiée en série sur EditAfrica. Troisième touche.
Question : les pouvoirs publics en Afrique soutiennent-ils le développement de l’industrie du livre sur place ?
Bien sûr, même si les engagements et les investissements varient évidemment d’un pays à l’autre. Je ne vais pas généraliser et je ne saurai faire une analyse au cas par cas des politiques culturelles à travers tout le continent. Dans les années 1970, l’Unesco avait d’ailleurs développé un observatoire des politiques culturelles en Afrique, mais comme souvent avec l’Unesco, il y a un problème de continuité et cette initiative est depuis longtemps terminée. Pour prendre le seul exemple du Cameroun que j’ai étudié, il y a souvent un souci de moyens et de pérennité plus que de volonté. L’actuel directeur du livre au Cameroun est issu de la filière éditoriale, il a participé à l’essor d’une édition de jeunesse dans le pays au milieu des années 2000. Au début des années 2000, c’est une filière de formation en métiers de l’édition qui a été développée à Yaoundé (à l’ESSTIC). Au début des années 90 s’y sont tenus des États généraux de la culture, avec la mise sur papier d’une décentralisation culturelle basée sur un modèle strictement camerounais. Entre la fin des années 70 et le début des années 80, le Cameroun a soutenu avec le support de l’Unesco le développement d’un centre organisant formations, diffusion, échanges et coéditions entre des éditeurs de tout le continent (le CREPLA). Dans les années 60, le Cameroun a intégré des structures littéraires et éditoriales à l’intérieur de sa construction nationale (je pense ici à la légendaire revue Abbia et aux extraordinaires éditions Clé, en particulier). Mais souvent, les projets ont fait long feu, faute de continuité des politiques culturelles, des instances et de leur renouvellement. Concernant le Cameroun, il y a aussi la question posée par la frontière entre les régions francophones et anglophones, qui se répercute sur les échanges entre les éditeurs de ces deux régions linguistiques et ne facilite pas une coordination éditoriale, lorsque le bilinguisme de la production du livre camerounais devrait lui conférer une dimension internationale quasi unique. Ce n’est pas un hasard si Wole Soyinka ou Sony Labou Tansi ont été publiés au Cameroun mais aujourd’hui, l’édition camerounaise n’a plus cette même attractivité, et ce n’est pas faute de qualité éditoriale, au contraire.
Question : existe-t-il un « néocolonialisme littéraire francophone » ?
Ceci me renvoie à la critique que j’avais faite de l’ouvrage Le (néo)colonialisme littéraire publié par Vivan Steemers aux éditions Karthala en 2012. Elle pointe du doigt les pesanteurs qui se sont exercées sur la production littéraire africaine en France à partir des années 1950 : orientation des textes à destination d’un public essentiellement français, mise sur la touche de certaines critiques liées à la colonisation et à la préservation des intérêts français après les indépendances, refus de manuscrits jugés « pas assez français », etc. De mon point de vue, la dimension néocoloniale apparait dans les pratiques quotidiennes des littératures africaines : lorsqu’on a parlé de Meursault Contre-Enquête de Kamel Daoud en 2014, c’est surtout parce que l’ouvrage a été réédité par les éditions Actes Sud et pas tellement pour son édition algérienne (Barzakh). Je trouve cela paradoxal, car voilà sans doute un des ouvrages qui définit le mieux l’idée d’une littérature postcoloniale. Et il s’agit encore de l’exemple d’un roman ayant été publié initialement en Afrique. Quel enseignant de littérature (université, lycée, collège) en France propose des textes publiés en Afrique aujourd’hui, alors que la capitale mondiale du livre se tient à Conakry depuis le mois d’avril 2017 et qu’Alain Mabanckou siège au Collège de France depuis 2016 ? Pourquoi le festival Etonnants Voyageurs, et plus largement la confédération de la World Alliance ne font pas d’avantage de place à des initiatives de diffusion comme l’African Books Collective au Royaume Uni, ou à Bookwitty au Liban ? Le postcolonialisme littéraire commence, aussi, par une prise de conscience individuelle, et ensuite structurelle et collective. Sans cela, on reste encore et toujours dans la marginalisation et l’exotisme. Et je ne crois que pas que les belles théories littéraires et mouvements appelant à l’abolition des labels et étiquettes (le « Tout-Monde », la Migrant literature, les littératures afropéennes, etc.) modifient vraiment la cartographie éditoriale qui existe depuis plusieurs décennies. Concernant le néocolonialisme francophone, avec ou sans parenthèses, je peux simplement pointer du doigt, une fois encore, la foire du livre de Francfort 2017 et son thème « Frankfurt auf Französisch » et proposer trois simples chiffres : près de 200 écrivains francophones publiés en France sont invités lors de cette édition. 14 maisons d’édition africaines seront représentées cette année à Francfort, soutenues par l’association française Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants qui se positionne en marge des débats tenus durant la foire. Ces éditeurs africains sont par ailleurs invités et soutenus financièrement par les mêmes institutions et structures françaises qui accompagnent l’édition française à Francfort (BIEF, OIF, Centre national du livre). On peut y voir la marque -positive- d’une réflexion de leur part, mais pour ma part j’y vois aussi une sérieuse marginalisation. Pourquoi ? En 1980, Francfort avait pour thème « Africa asserts its identity » et 180 maisons d’édition africaines étaient alors représentées. 37 années ont passé et la littérature en français ne semble pas se conjuguer avec une diversité équilibrée de l’édition francophone. Je crois que ce rappel parle mieux que mille discours.
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