Illustration : Buckingham House, East Library, by James Stephanoff, 1817 . (Wikimedia Commons)
Par Raphaël Thierry
À quoi rêvent les chercheurs ? À qui parlent-ils ? Quelle méthodologie suivent-ils ? Il y a des disciplines scientifiques dans lesquelles on peut s’appuyer sur des protocoles, mais il y a toujours un moment où l’on se lance dans le vide, du moins je le crois. Que l’on soit un « littéraire », un mathématicien, un biologiste ou autre, il y a bien un moment où l’on fait le pari risqué de suivre une piste, d’engager son temps et parfois du matériel, des réactifs, outils, achat d’ouvrages. Des fois, ce pari s’avère infructueux. La vie de la recherche est faite de ces petits renoncements, de mille petits échecs. On reprend alors son souffle, son élan, et la déception passée on se lance sur un nouveau sentier, qui mènera peut-être vers quelque chose, celui-là.
La recherche aspire à tracer de nouvelles voies, à élargir les anciens chemins, des fois aussi à se souvenir des anciennes routes que l’on oublie peu à peu, c’est bien humain. J’appartiens à cette communauté des chercheurs, parfois un peu trop entre-nous, pas forcément connectés avec les autres mondes : les mondes professionnels, associatifs, le « grand public ». Pourtant, je continue à en être convaincu, plus nous chercherons les connexions, plus nous serons ouverts aux autres, mieux nos travaux trouveront leur place et leur utilité. La recherche vise à accroitre le champ des possibles. Pour se faire, elle ne peut se couper du monde, à moins de se perdre elle-même.
Bien sûr, les chercheurs parlent leur langage, de même que les autres milieux. Il faut tout le temps essayer de mieux nous comprendre et pour cela, il faut savoir se remettre en question. Rien de plus difficile. Mais voilà, la recherche, qu’elle parle de virus, d’équations ou de corpus littéraires est toujours connectée au monde. Et nous devons nous y confronter en permanence, faire lire nos travaux, expliquer nos objectifs, écouter le monde dans ce qu’il a à nous apprendre.
Je suis un chercheur qui consacre son temps à étudier le développement de l’édition en Afrique. On m’a souvent demandé comment j’en étais arrivé là, j’ai parfois eu à me justifier, plus ou moins adroitement, provoquant souvent des haussements de sourcils circonspects. Mais le temps passe, mes recherches progressent, trouvent une meilleure cohérence dans mon esprit, et j’apprends à mieux les présenter, à mieux en parler, et à finalement les confronter avec moins d’appréhension dans la société et vers différents publics. J’apprends ainsi à mieux légitimer ce sujet auquel je consacre mon temps, parce que je sais qu’il est important. Pas moi. Pas mes écrits. Le sujet auquel je crois et m’accroche depuis 10 ans.
Les sciences humaines appartiennent à la cité, elles sont participatives. Être chercheur selon moi, c’est apprendre à s’effacer au bénéfice de l’espace social, en lui donnant corps dans nos textes, en lui servant d’interprètes et de porte-voix, et proposant notre propre regard, à sans cesse remettre en question. Toujours, nous devons espérer la contradiction et la critique : celles-ci nous permettent d’avancer. Surtout, nous devons demeurer ouverts aux autres, et nous interroger sans cesse sur ce monde que nous questionnons et étudions. Notre seule légitimité face à nos sujets, c’est le temps que nous pouvons y consacrer. Mais ce luxe du temps, nous ne devons pas oublier que c’est un privilège, et que dans une société démocratique, les privilèges s’accompagnent de devoirs. Mon avis naïf et assumé, c’est qu’être chercheur, c’est apprendre à être citoyen, à sa façon, pour que nos idées ne se dessèchent pas faute d’avoir été coupées du monde.
Alors j’écris, tout en espérant être lu.
Adessias !