La voix des invisibles

À propos de Walaande, l’art de partager un mari, un entretien de Raphaël Thierry avec Djaïli Amadou Amal

 

Durant le 32ème Salon du livre de Paris (16 au 19 mars 2012), j’ai eu le privilège de m’entretenir avec Djaïli Amadou Amal. Djaïli est camerounaise, peule de l’Extrême-Nord Cameroun (Maroua). Elle était invitée au Salon du livre par l’Institut français pour présenter son roman Walaande, l’art de partager un mari, édité en 2010 aux éditions Ifrikiya (Yaoundé). L’occasion pour cette brillante écrivaine de mieux faire connaître la cause pour laquelle elle se bat et milite sans relâche, une cause autour de laquelle son roman a été construit : Djaïli Amadou Amal nous parle de ces femmes peules du Nord-Cameroun qui vivent sous le régime de la polygamie ; mais elle nous parle aussi d’une société en plein changement, et où se manifestent, petit à petit, les espoirs et les rêves des nouvelles générations.

 

Raphaël Thierry : Djaïli Amadou Amal bonjour. Pour entamer notre entretien, j’aurais aimé que nous parlions de Walaande, sous-titré « l’art de partager un mari ». Votre ouvrage a été publié en 2010 aux éditions Ifrikiya (Cameroun), dans la collection « Proximité » dirigée par François Nkémé. Il y a un fil directeur dans ce roman, qui est celui de « l’épouse du Sahel » qui passe sa vie à attendre et à qui personne ne pense. Dans l’attente du « walaande », elle attend aussi, simplement, que les gens la remarquent, lui accordent une importance. Cette épouse serait dans l’attente d’une « existence », si je puis m’exprimer ainsi. Il y a plusieurs femmes qui ressortent dans votre roman : Djaïli, Sakima, Nafissa… J’aimerais que vous me parliez un peu de ces femmes qui vivent sous le régime de la polygamie et ce que signifie ce besoin de reconnaissance.

Djaïli Amadou Amal : « Walaande », c’est un mot peul, qui signifie « unité conjugale ». La polygamie chez les Peuls fonctionne sur un mode de ronde, où chaque épouse a droit à une nuit passée avec son mari. Pendant cette nuitée, elle s’occupe aussi du couvert, et de toute la famille… Donc Walaande raconte l’histoire de quatre épouses vivant dans la même concession et se partageant leur mari. Comme vous dites, ces femmes passent leur vie à attendre. Attendre que quelque chose se passe. Leur quotidien est exactement le même, chaque jour. Leur vie ne change jamais. Elles passent leur temps à attendre leur walaande, et à attendre que leur walaande finisse, à attendre elles ne savent quoi, mais à attendre quand même. En fait, il s’agit de femmes oppressées, des femmes qui n’ont pas le droit à la parole, qui n’ont pas de place vraiment définie dans la société. Elles ne sont « que » des épouses. Elles n’existeront jamais par elles-mêmes. À leur naissance, elles sont la fille d’untel et ensuite sur l’épouse d’untel. Elles ne seront jamais elle-même, en tant que personne.

R.T. : Derrière ce roman il y a donc une cause, un message et, j’imagine, un enjeu pour vous. Pourriez-vous m’en dire un peu plus ?

D.A.A. : Au nord-Cameroun, nous avons toutes plus ou moins vécu la polygamie ; que ce soit de près ou de loin. Que ce soit par nos parents, par nos amis, par nos voisins, etc. Dans tous les cas, nous, les épouses du Sahel, même si nos maris sont monogames, sommes toujours sur la défensive, parce que nous nous attendons toujours à ce que, à un moment ou à un autre, une nouvelle femme arrive, et que l’on se retrouve dans un foyer polygame. Et l’on n’y pourra rien ! Alors, je me suis dit qu’écrire ce roman, Walaande, c’était aussi un moyen de faire ressortir ce que nous, les femmes peules, nous pouvons ressentir. Et puis, c’est aussi un témoignage, pour toutes ces femmes-là : j’aimerais aussi qu’elles prennent conscience des maux qui minent leur société, des difficultés qu’elles rencontrent et qu’elles essayent, le plus possible, au moins, même si pour elles c’est trop tard (je veux dire, pardonnez-moi l’expression, que pour notre génération c’est « foutu »)… Mais si on peut arriver à protéger nos filles, à faire en sorte qu’elles échappent à ce problème-là, ça serait déjà une bonne chose.

[Lire la suite de l’entretien sur le portail de la revue Africultures]

 

Walaande, l’art de partager un mari
Éditions Ifrikiya
Cameroun
ISBN : 9956-473-35-9
Genre : roman
Parution : octobre 2010

 

2 Replies to “La voix des invisibles”

  1. Bonjour, j’ai entendu parlé de ce livre et j’aimerai le lire. Je vis en France y’ aurait il un moyen de l’acheter ici??

    1. Bonjour

      Je vous conseille de prendre attache avec l’Alliance Internationale des Editeurs Indépendants à ce sujet :
      http://www.alliance-editeurs.org/walaande-l-art-de-partager-un-mari
      http://www.alliance-editeurs.org/contacts?lang=fr

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