21/03/2012 : « Être des hommes ou des femmes de culture, ce n’est pas un luxe »
Nadine Bari, qui présidera le comité d’organisation des « 72 heures du livre de Guinée » (23 -25 avril 2012), revient, dans un très riche entretien avec Boubacar Sanso Barry, sur le contexte culturel et les enjeux d’une telle manifestation en Guinée. L’évènement sera organisé par les éditions L’Harmattan Guinée en partenariat avec l’INRAP (Institut National de Recherche et d’Action Pédagogique). Le thème principal est « la place du livre dans l’éducation ». Les « 72 heures du livre » ont pour objectif de « faire renaître le plaisir de la lecture ».
Mme Bari présente le constat à l’origine du projet : « la grande misère des bibliothèques, notamment en matière de manuels scolaires et de beaucoup d’autres choses en rapport avec l’éducation. Et parce qu’on a également constaté que souvent le Guinéen ne feuillette un livre qu’au moment de son apprentissage à l’école primaire, au secondaire ou à l’université. Et après, il ne touche que rarement à un livre ».
Un environnement difficile et où « les méthodes vulgarisation du livre » ne sont pas légion. « À part quelques bibliothèques publiques. Les bibliothèques scolaires sont plutôt rares. Pour le comprendre, il suffit de réaliser qu’il y a 72 universités privées qui se sont constituées en Guinée, principalement à Conakry et que de la moitié d’entre elles n’ont pas de bibliothèques ».
Plusieurs pistes sont avancées pour redonner une place et un accès au livre en Guinée. Premièrement et bien sûr, il s’agit de « multiplier les bibliothèques. Si on rapproche les bibliothèques et on facilite leur accès aux populations, par exemple avec des coûts d’abonnement annuel de 5 000 GNF, on peut espérer des progrès ».
Si l’on ne peut ignorer les priorités alimentaires de la population, la lecture demeure néanmoins « une nécessité du 21ème siècle. On ne peut pas se former, s’épanouir et se forger une personnalité dans le monde qui est le nôtre, si on ne s’est pas frotté à la culture des autres. La culture des autres, où on la trouve ? C’est dans les livres. Sur internet, c’est encore plus cher. À la télévision, c’est tellement éphémère, qu’on ne peut pas revenir en arrière et réécouter l’émission. La télévision, de ce point de vue, ne confère pas de la formation. Alors que c’est le cas avec un livre […]. Mais les élèves sont les mieux placés pour avoir accès à un livre intéressant, s’il y a une bibliothèque dans leur établissement. Ce qui n’est pas toujours le cas. Loin de là ».
Nadine Bari rappelle que « pendant longtemps, le Guinéen a été muselé. Dans ce pays, il y a eu des périodes où on ne pouvait rien écrire sans risquer sa peau. On ne pouvait rien lire non plus, si ce n’était les œuvres du président. Donc, il y a eu une longue période où on n’a pas pu écrire, où on n’a pas osé écrire ».
Celle-ci s’interroge alors : « aujourd’hui, j’ai la surprise de constater que maintenant que la révolution est loin derrière nous, et que les militaires ne sont plus au pouvoir, les gens sortent de leurs tiroirs des manuscrits qu’ils avaient, mais qu’ils n’osaient pas sortir, publier et faire lire. On s’est alors dit que beaucoup de jeunes ont des choses à dire. Ils ont envie de réagir, ils ont envie de dénoncer et ils le font souvent d’ailleurs […]. Maintenant, il faut que les Guinéens puissent sortir ce qu’ils ont pour le publier. Et je dois dire que j’ai été impressionnée quand j’ai su qu’à L’Harmattan par exemple, il y a 210 livres sur la Guinée ».
Une autre piste : « c’est par exemple au chef de l’État de créer un grand « Prix du président de la République pour les Lettres ». Ainsi, chaque année, il pourrait décerner un prix à un écrivain, soit pour marquer sa considération personnelle et celle du public pour un livre qui a marqué la société guinéenne ».
Un État guinéen qui « n’a pas toujours activement soutenu les « 72 heures du livre ». Du moins, sur la base du constat relatif aux éditions précédentes. [C]’est la même chose qui s’est passée l’an dernier à propos du stand de la Guinée au Salon du Livre de Paris. On avait espéré l’aide du gouvernement pour les frais de location du stand. Malheureusement, cette aide n’était pas venue à temps. Et c’est L’Harmattan Guinée qui avait du payer ».
Et de souligner encore que « [l]’appui du Centre culturel franco-guinéen doit […] être particulièrement relevé dans la mesure où ses locaux seront gracieusement offerts aux « 72 heures du livre ».
Ce billet est également publié sur le portail Web de la revue Africultures (en lien).