– Le libraire est-il un simple « homme d’affaires » qui a besoin de faire tourner son fonds de commerce, ne pouvant donc pas se permettre d’acheter des livres qui ne se vendent pas systématiquement, ou bien – justement – un entrepreneur culturel misant le roulement de son fond sur des paris, des opérations de promotion visant à sensibiliser le public à de nouveaux ouvrages ? Une chose est certaine, au Cameroun, les libraires travaillent essentiellement avec les fournisseurs français que sont la SODIS, Volumen, Hachette.
– Le grand problème du fonctionnement de la librairie concerne la question du retour : les libraires français ont une possibilité de retour des invendus auprès de leurs fournisseurs, ce qui est exclu au Cameroun en raison du coût d’acheminement des ouvrages : conséquence directe : les éditeurs français n’acceptent aucun retour. Les libraires sont ainsi obligés d’accumuler un stock, ce qui nécessite de bien faire ses choix. Il y a une réelle difficulté à fournir une grande variété d’offre pour les clients, le libraire étant obligé de parier sur un livre qu’il choisi de commander, sachant que le livre lui restera « sur les bras » en cas de mauvaise estimation.
– Si dans certaines villes le secteur de la librairie s’est relativement développé ces dernières années comme à Douala, d’autres lieux ont par contre vu le livre disparaitre du paysage urbain, c’est le cas notamment de Bafoussam, troisième ville du Cameroun. Kouam Tawa, dramaturge s’exprimait à ce sujet :
« Nous sommes en 2008, en 1991 j’étais encore élève au Lycée Classique de Bafoussam, je me souviens que quand je sortais de classe tous les jours, à 300 mètres de mon lycée il avait la librairie des Frères Réunis sur la gauche, il y avait la librairie La Couronne sur la droite, et enfin j’avais le temps en fin de semaine d’aller à la Librairie du Plateau, en plus de la librairie du poteau où des bouquinistes vendaient des livres. Aujourd’hui, dans la ville Bafoussam, il n’y a de véritable librairie que la Librairie du poteau pour la simple raison que Les Frères Réunis ont fermé, La Couronne a fermé, le Plateau qui disposait avant de dizaines d’ouvrages de littérature et de culture générale se réduit aujourd’hui à ne vendre presque que des ouvrages scolaires ».
Dans des régions telles que le Nord, l’Extrême-Nord, l’Adamaoua, il n’y a (à notre connaissance) pas de librairies, ce qui, dans le cas de N’gaoundéré, est pour le moins problématique, aux vues de l’importance du centre universitaire qui y est présent.
– La librairie est aujourd’hui au cœur de multiples débats dont le plus « chaud » concerne l’estampillage du livre « préconisé » par la SOCILADRA (la société civile en charge des droits d’auteurs pour le livre), à savoir un timbre d’une valeur de 200 FCFA qui doit être apposé sur les livres vendus en librairie. On essaie par là d’appliquer au livre un mécanisme qui opère dans le domaine de la musique, en faisant mettre des timbres sur les livres. Ce principe décrié semble difficile à mettre en œuvre, en effet, la spécificité de l’édition de livres, c’est que le droit d’auteur y est régi par un contrat établi entre l’auteur et son éditeur, chaque partie se réservant le droit de dénoncer ce contrat si elle n’est pas satisfaite. Il est donc problématique de faire payer au libraire un « droit » déjà établi contractuellement entre l’éditeur et l’auteur, et donc déjà contenu dans le prix du livre en librairie.
– Frais de douane, coût du transport du livre, marge similaire à celle accordée aux libraires français par les éditeurs français, tout ces éléments font qu’au final, de manière relativement aberrante, un livre vendu en France pour 6 euros sera vendu au Cameroun pour environ 7 à 8 euros, alors que l’on connait la différence de pouvoir d’achat entre les deux pays. Pour ce qui est des éditeurs locaux, les librairies, à l’exception de quelques rares structures (la Librairie Saint Paul notamment), pratiquent le dépôt sans avance, qui facilite le retour sur les invendus à la maison d’édition.