Quelques réflexions à l’emporte-pièce sur la concurrence des BDD* culturelles africaines
Très honnêtement, nous n’avions par prévu de publier cet article…
EditAfrica n’a pas pour vocation d’être une tribune de polémiques et l’objectif n’est pas ici de lancer des pavés dans la mare ; d’ailleurs, cette publication n’est pas un pavé et la polémique en eût-elle été l’objectif que le résultat n’aurait été – tout au plus – qu’un coup d’épée dans l’eau !
Car, plus sérieusement, nous préférons voir ici un questionnement sur l’administration et le positionnement d’une base de données consacrée au livre en Afrique.
Alimenter la jeune toile EditAfrica exige de fouiller constamment sur le Web, de fouiner, lire, fureter d’un journal à une base de données, d’une thématique « google-isée » à l’inspection fébrile et répétée de notre messagerie et des lettres d’information qui y parviennent.
Parmi nos sources, un site Web déjà ancien et relativement précurseur au Cameroun : Kamerculture.com, administré par Cicéron Manguier Makon.
Et, toujours dans nos sources, un autre site Web Kamercultures.net dont nous avons découvert l’existence très récemment, grâce aux informations diffusées par la newsletter d’Africultures.com.
Quelle est la différence entre Kamercultures et Kamerculture ?
De prime abord, peu de différences, comme les noms de domaine peuvent prêter à confusion :
Kamerculture.com se veut « un espace gratuit de promotion culturelle au Cameroun », tandis que Kamercultures.net a pour vocation d’être un « portail de la diversité culturelle » au Cameroun.
Il y a pourtant beaucoup plus qu’un « s » et qu’un intitulé de promotion culturelle/diversité culturelle comme différences.
Tout d’abord, il y a six ans d’écart, ce qui peut paraitre infime selon les points de vue mais qui est énorme en termes de chronologie Internet.
Comprenons-nous : le portail kamerculture.com a été développé en 2005 et Kamercultures.net vient seulement d’être inauguré.
Kamerculture.com est en quelques sortes un site internet « old school », c’est à dire que, de manière classique, il est géré par un administrateur, Cicéron Manguier Makon, ce dernier publie les informations qui lui sont transmises sur le portail ; Kamercultures.net suit une toute autre logique de fonctionnement : généré à partir du portail Sudplanète (qui couvre l’ère Afrique-Caraïbe-Pacifique), le site est administré par l’équipe de la revue Africultures depuis sa fondation. Le portail fait appel à la technologie du Web 2.0 qui s’est imposée depuis 2007, permettant, notamment, à l’internaute d’interagir directement sur un site Internet, d’y développer son propre espace sans avoir de connaissances en développement Web. Dans le cas de Sudplanète et Kamercultures.net, cela permet de créer soi-même sa fiche, de « poster » son information culturelle, son actualité, bref, d’être un acteur à part entière du portail.
La différence de fonctionnement des deux interfaces se situerait donc dans cet écart de six années durant lesquelles les technologies Web ont su évoluer dans le sens de l’interactivité. Ok.
Mais le fossé se creuse quand on se penche sur la machinerie présente derrière les deux sites. Le premier, kamerculture.com, fait en effet office de Petit Poucet à côté de son concurrent : pour faire vivre le site, il y a une seule personne qui gère les informations qui lui sont transmises ; du côté de kamercultures.net, la logistique est beaucoup plus conséquente. Le portail s’appuie sur le site internet africultures.com qui revendique quelques 750 000 visites par mois, tout en diffusant une newsletter hebdomadaire à près de 180 000 abonnés, le portail est encore alimenté par la base de données africinfo.org gérée par le Groupe 30-Afrique**.
Pour rappel, Sudplanète est issu du projet Africultures et a pour objectif de recenser artistes, structures, évènements culturels en Afrique, etc.
Depuis le mois dernier, Sudplanète ouvre ses portails-pays : culturesmali.com et burkinacultures.net ont vu le jour en septembre et octobre. Ces derniers viennent rejoindre kamercultures.net et l’édito diffusé par l’équipe d’Africultures nous renseigne sur le fonctionnement du portail : « Prenant pour socle Sudplanète, base de donnée internationale mutualisée lancée par Africultures et fédérant une pléiade de partenaires de par le monde, KamerCultures est un portail culturel spécialisé sur le Cameroun ».
La synergie est le mot clef de kamercultures.net ; il s’agit d’informer les opérateurs culturels de la tenue d’évènements, et les organisateurs d’évènements de l’existence d’opérateurs culturels, de faire connaitre et circuler les créations artistiques. Sudplanète met en place des portails nationaux « parce que la plupart des actions culturelles restent des actions de proximité, parce que chaque pays a ses spécificités ».
Le graphisme du portail a été élaboré avec le soutien de la fondation MTN-Galerie MAM (opérateurs télécom sud-africain implanté au Cameroun) et il faut le dire, en dépit de quelques menus défauts dans l’apparence générale du site, le visuel est tout de même bien plus attrayant que son prédécesseur, kamerculture.com, assez spartiate dans sa mise en page.
Enfin, la dernière et flagrante différence d’un portail à l’autre : kamerculture.com existe sans relai : les informations qui y sont publiées sont sur le site, point barre. De son côté, kamercultures.net fonctionne beaucoup plus selon la logique des vases communicants : directement associé au portail général Sudplanète (qui couvre les zones A.C.P) : « chacune des informations entrées sur KamerCultures apparaît également automatiquement sur Sudplanète, et inversement », les informations disponibles sur Sudplanète le sont enfin sur Africultures. L’information est donc relayée à trois différents niveaux, du portail national au portail international vers la revue en ligne.
So what ?
Nous sommes partagés : l’initiative de l’équipe d’Africultures est heureuse, car voilà enfin des fenêtres sur l’actualité culturelle en Afrique. Kamercultures, Culturesmali, Burkinacultures sont désormais inline, et d’autres portails vont probablement bientôt voir le jour, en apportant un nouvel éclairage sur ce qui se passe et ce qui se fait dans des pays dont on ne connait souvent pas grand chose (et dont on conclue alors qu’il ne s’y passe rien).
Avant l’ouverture de Culturesmali, difficile de dire ce qui se passait au Mali, si ce ne sont quelques informations ponctuelles transitant via des réseaux plus ou moins étendus. Alors oui, Africultures prolongent logiquement et positivement leur démarche, eux qui avaient initiés des dossiers thématiques fondateurs au début des années 2000 : c’était aussi bien Où va le livre en Afrique ? coordonné par Isabelle Bourgueuil en 2003, que Cameroun, la culture sacrifiée en 2004. Le projet EditAfrica trouve ses racines à la lecture de ces sources et de quelques heureuses rencontres.
Un bémol, cependant… Un portail de l’activité culturelle camerounaise existe déjà depuis six ans, et remplit, en ce sens, efficacement son rôle. Kamerculture.com est certes moins interactif, visuellement moins beau et n’est pas soutenu par une machinerie web aussi efficace que le mode de fonctionnement du réseau Sudplanète, de même, le site n’est pas aussi bien relié ni aussi largement diffusé…
Mais la démarche d’Africultures ne se heurte-t-elle pas ici à une contradiction ?
Son nouveau portail, « cadre par excellence de la liberté et de l’expression culturelle […] d’échanges et de discussions socio–culturelles, susceptible de permettre aux visiteurs de découvrir à temps opportun tout ce qui se passe comme activité culturelle au Cameroun » vient ici se présenter comme LA référence de ce qui se fait au Cameroun.
Il y a, d’une part, un portail qui existe déjà pour cela, et, d’autre part, un journal mensuel, Mosaïques, qui rempli depuis un an ce rôle sur place.
Un rapprochement a-t-il déjà été fait avec ces différents outils d’information ?
Nous ne voulons pas jeter l’opprobre sur une initiative en soi salutaire pour le relai de l’information culturelle dans des pays plutôt laissés pour compte des grands-messes culturelles intercontinentales (mentionnons par exemple le salon du livre de Paris ou la Documenta de Berlin), c’est, simplement, que ceci nous amène à nous interroger sur la « manière de faire », sur l’approche des réseaux culturels locaux.
Dans pas mal de pays africains, on peut vous parler d’initiatives étrangères venues suppléer un vide institutionnel autour du milieu culturel (du livre très particulièrement).
Nous avons vu de merveilleuses bibliothèque universitaires que la coopération américaine a bâtit et qui, trente ans plus tard, tombent littéralement en morceaux faute de moyens pour entretenir ces dernières.
Nous avons vu des réseaux de lecture publique issus de la coopération culturelle française et des programmes FSP***, plein d’espoir mais, hélas, hasardeux, qui ont d’abord créé un lieu culturel là où il n’y avait pas de bibliothèques, ont suscité un appel d’air, des vocations culturelles, des destins et qui, une fois abandonnés, ont laissé un vide, un besoin insatisfait, et de tristes vestiges…
Nous avons aussi vu les très actives éditions l’Harmattan implanter leurs bureaux dans de nombreux pays subsahariens, trustant la production universitaire locale à grands renforts de compte d’auteur, là où des éditeurs nationaux s’efforçaient déjà d’exister.
Non, il ne s’agit pas de ne rien faire.
Non il ne faut pas dire « dehors les initiatives étrangères, ça suffit basta ». Nous connaissons, pour parler de ce que nous connaissons un peu, certaines régions de France qui auraient grand besoin de l’intervention d’opérateurs culturels extérieurs, pourquoi pas africains, pourvu que ces derniers apportent à des lieux d’indigence culturelle quelques échos du concert des cultures du monde.
Tout comme beaucoup de milieux, l’actualité culturelle africaine n’est pas indigente, mais elle a grandement besoin de relais, de réseaux d’information plus précis sur ce qui se passe dans tel pays ou dans telle ville. Et il faudra encore beaucoup de bonnes volontés pour faire grandir l’idée dans le monde de pays africains au pluriel et de cultures africaines au pluriel.
Mais de grâce, n’étouffons pas ce qui se fait sur place, que kamercultures.net disparaisse et qu’Africultures retirent leurs billes, si le « bon vieux »**** kamerculture.com a depuis fermé boutique, vers qui nous tournerons-nous pour savoir ce qui se passe au Cameroun ?
On a beaucoup décrié l’extraversion littéraire africaine : ce qui s’écrit en Afrique se publie au Nord, mais il ne faut pas non plus céder à la démarche inverse en devenant l’adjuvant de ce qui n’est pas là faute de savoir ce qui est vraiment là.
Et puis nous même, à EditAfrica, comment nous situons-nous ? Il existe déjà des portails du livre africain : Afrilivres, l’APNET, l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants, Scolibris, l’African Books Collective…
Prenons garde de ne pas de faire de l’ombre à des opérateurs compétents et bien actifs, mais renvoyons nos lecteurs vers eux, suscitons une promotion de leur travail, de leur nom de domaine, et nous créerons alors, peut-être, de la synergie.
R.T. pour la rédaction EditAfrica
* B.D.D. = Bases De Données.
** Le Groupe 30 est un réseau d’échange Sud-Sud dont l’axe de travail est la médiation culturelle. Le réseau recense des opérateurs du Burkina Faso, d’Afrique du Sud, de Côte d’Ivoire, du Congo Brazzaville, de Centre Afrique, du Cameroun, du Gabon, du Ghana, de Guinée, du Kenya, su Niger, de Madagascar, du Mali, de R.D.C, du Sénégal, de Sierra Léone, de Tunisie, du Tchad, du Togo, du Zimbabwe.
*** FSP = Fonds de Solidarité Prioritaire.
**** Que M. Manguier Makon accepte de nous pardonner cette expression !
« Le graphisme du portail a été élaboré avec le soutien de la fondation MTN-Galerie MAM (opérateurs télécom sud-africain implanté au Cameroun) et il faut le dire, en dépit de quelques menus défauts […] » :
Au moment de la rédaction de l’article il y a avait encore quelques imperfections, ces dernières ont depuis été corrigées. Signalons-le.
Hi! I could have sworn I’ve been to this website just before but following searching by means of a few of the publish I recognized it is new to me. Anyways, I’m undoubtedly content I discovered it and I’ll be book-marking and checking again often!
Merci Raphaël pour cet article : tu as parfaitement raison de poser la question d’une « intervention extérieure » qui ne tiendrait pas compte de l’existant.
Pour te répondre :
– le site a été développé après que notre collaboratrice Maud ait passé six mois au Cameroun (où elle avait déjà passé beaucoup de temps avant) pour contacter et mobiliser tout le milieu culturel autour du projet, identifiant les bons collaborateurs pour qu’une enquête de terrain approfondie puisse être réalisée si le financement en était réuni.
– ce financement a été cherché à travers un dossier déposé auprès du Fonds pour la diversité culturelle de l’Unesco, avec le soutien du ministère de la Culture camerounais, mais n’a malheureusement pas été retenu.
– contact a été pris avec le responsable de kamerculture et nous avons convenu d’une collaboration pour mutualiser les initiatives,
– nous sommes en contact permanent avec Mosaïques dont nous annonçons les nouveaux numéros et avons proposé de le mettre en ligne pour lui donner davantage de visibilité.
Africultures initie effectivement des portails par pays, déclinaison de la base de données internationale Sudplanète (www.sudplanete.net), quand une enquête de terrain réalisée par un partenaire local permet que ces portails culturels remplissent leur rôle en comportant suffisamment d’informations sur les créateurs et leurs structures. Nous ne désespérons pas de trouver le financement / les partenaires nécessaires pour que kamercultures soit mieux renseigné.
En cela, nous ne cherchons pas à nous substituer à des opérateurs locaux mais à les soutenir par nos outils informatiques et la mutualisation de la base de données pour que les créateurs locaux disposent ainsi d’une visibilité internationale. La base de données n’est pas « propriétaire » : elle est le résultat de la mutualisation des énergies de tous ceux qui pensent qu’un tel outil est nécessaire au service de l’ensemble du milieu culturel sur une base internationale.
Nous cherchons d’ailleurs à baser la gestion de cette base de données en Afrique.
amitiés
Olivier
Merci de ton commentaire Olivier, qui prolonge l’idée initiale d’EditAfrica, à savoir d’être un lieu de discussions et, pourquoi pas, de débats, dans l’idée de rendre l’information sur l’édition africaine un peu moins abstraite et beaucoup plus vivante !
Je prends bien note de toutes ces précieuses informations, et suis heureux de publier tes précisions.
Amitiés,
Raphaël THIERRY
[…] données camerounaise (et je reste encore aujourd’hui plutôt dubitatif à l’égard des explications d’Olivier Barlet, sachant que le portail camerounais à depuis disparu). Il me semble important de ne pas oublier la […]