Par Raphaël Thierry
7/ En tant que lecteur français de BD, dois-je réviser mes pratiques et ma grille de lecture pour mieux lire et comprendre la BD produite en Afrique ? Puis-je être « tout simplement » lecteur ? @Afrmed @cooplaimomo #FIBD2018 #AfricAngouleme18
— Raphaël Thierry (@raphthierry) 21 janvier 2018
Je l’ai déjà remarqué et ne voudrais pas trop longuement m’attarder sur ce point, mais il me semble important de souligner le fait que la bande dessinée ne répond pas aux mêmes enjeux que la littérature en Afrique, et que sa reconnaissance ne passe pas par les mêmes chemins. Il y a la dimension « marché » déjà évoquée [ici], et il y a l’aspect « réception », c’est à dire « lecture » qui nous concerne tous directement et donc je voudrais parler un peu ici. Bizdou, responsable de l’excellent portail Kefaland me posait ce matin une question très intéressante :
A ce propos que faudrait il améliorer dans la diffusion de la « BD africaine? »
— Kefaland (@Kefaland) 24 janvier 2018
Cela me donne doublement à réfléchir. D’une part, me voilà à essayer de répondre à une question professionnelle, venant d’ailleurs d’un spécialiste qui en sait plus que moi pour avoir été davantage en contact avec des bédéistes en Afrique. D’autre part, je me retrouve face à l’ambiguïté de ma position d’universitaire, c’est à dire de chercheur qui apporte en fait plus de questions que de réponses aux problématiques qu’il aborde. Peut-être cela fait-il d’ailleurs de moi un mauvais universitaire, mais je ne peux m’empêcher de penser que ma réflexion ne vaut rien si elle demeure « hors sol » et que j’ai la prétention de proposer des solutions, moi qui vis si loin des réalités du terrain auxquelles se frottent les professionnels africains du livre.
Moi je n’ai pas de solution miracle hélas, mais par contre il est certain que plus le public francophone y prêtera attention plus la diffusion médiatique, numérique et physique trouveront de nvelles passerelles et renforceront celles qui existent. Le marché en profitera forcément
— Raphaël Thierry (@raphthierry) 24 janvier 2018
Je n’ai donc pas de leçon ou conseil à donner en tant que professionnel (que je ne suis pas), et je n’ai pas non plus de réponse à apporter en tant que chercheur travaillant présentement en Allemagne. Mon champ est donc limité, mais je crois que la seule réponse honnête que je puisse apporter à Bizdou est celle d’un lecteur passionné de bande dessinée. En tant que lecteur donc, en tant que lecteur européen, je crois que plus je prendrai conscience de l’existence d’une autre bande dessinée que celle à laquelle j’ai accès dans la librairie de mon quartier, ou bien dans ma bibliothèque municipale, et plus je donnerai de chances à une « autre BD » d’exister. Cette BD produite en Afrique n’est pas une sous-catégorie de la bande dessinée européenne, française en l’occurrence. Elle existe à travers de nombreux collectifs et propose des formats qui ne s’adressent pas directement à moi. Cette BD m’est étrange, ou plutôt je lui suis étranger. Mais justement, c’est ma responsabilité de lecteur passionné de BD de faire ce pas de côté, de sortir de ma zone de confort franco-italiano-belgo-americano-japonaise, de faire preuve d’un peu de modestie, pour me confronter à d’autres albums qui ne me sont pas directement adressés car les politiques éditoriales qui les ont choisi ne font pas de moi leur lecteur cible. Et encore, la BD produite en Afrique est produite par des artistes qui sont très souvent aussi de réels opérateurs culturels, développant leurs formats et leurs styles en même temps que leur outils d’expression et de diffusion. En ce sens, la BD produite en Afrique se fait l’image vivante de sociétés mondialisées et d’une influence globale, où un panthéon culturel camerounais rencontre le style du comics US, où des (super) héros nigérians émergent de l’urbanisme tentaculaire de Lagos, où un petit héro togolais soutient une Haïti ravagée par le tremblement de terre. Cette BD est un espace monde mais je reste un lecteur avec des œillères.
La bande dessinée produite en Afrique existe en tant que marché, formalisé par des collectifs de promotion et de diffusion (physiques et numériques), des projets transnationaux (interafricains, africano-européens), des évènements mobilisateurs (le FIBDA en Algérie, le Festival de la BD de Casablanca, ou Angoulême). Je ne peux plus me réfugier derrière l’excuse de l’accès aux livres, car ces livres sont accessibles, même s’ils ne représentent sans doute encore qu’une goutte d’eau de la création qui existe effectivement à travers l’Afrique.
Je suis, certes, un lecteur français, européen. J’ai grandi et ai été influencé avec les images de l’Afrique coloniale, pour les pires celles d’Hergé et des tous premiers Spirou, pour les meilleures celles d’Hugo Pratt. Il me reste aujourd’hui à ouvrir les yeux sur une bande dessinée plus vaste que ce que je pensais, pour faire grandir ma bibliothèque personnelle, et moi-même au passage. Je dois, ainsi, devenir un lecteur postcolonial.
Et pour répondre à Bizdou : si je veux participer à améliorer la diffusion de la BD africaine, je crois que c’est surtout à moi de m’améliorer, en tant que lecteur.
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