À un premier niveau, la situation de l’édition du livre scientifique n’est pas différente de celle des autres types d’édition. Car, elles se rencontrent les mêmes pesanteurs économiques, institutionnelles et sociales. Comme l’édition de la littérature générale, l’édition scientifique en Afrique s’insère dans un marché très étroit. Un marché réservé aux universités et aux institutions. Un marché qui tarde encore à intéresser le grand public. Un marché à l’intérieur duquel, l’offre demeure mince, car, limitée tant du point de vue qualitatif que quantitatif.
Qualitativement, les produits éditoriaux rencontrent de nombreuses lacunes qui se déclinent suivant deux directions : technique et artistique.
– Sur le plan technique, certains produits sont caractérisés par une relative pauvreté en termes de recherche infographiques et iconographiques. D’autres, en plus, rencontrent des lacunes relevant de l’outil imprimant : encrage, assemblage, reliure, rognage etc.
– Sur le plan artistique, nombre de produits éditoriaux fournis par l’offre locale demeurent « illisibles ». Autrement dit, les thèses et les rapports de recherche ou d’études sont souvent publiés sans être édité. C’est-à-dire, en s’abstenant de subir le processus de médiation qu’est l’édition. Car, si publier c’est mettre quelque chose à la disposition du public, éditer est également la mise à disposition publique, mais d’une certaine manière. Il s’agit alors de revisiter certains éléments comme l’intitulé du livre et des chapitres, revoir le vocabulaire et, aux besoins, prévoir un glossaire ou un lexique. Bref, il s’agit de « dé-ghettoïser » la thèse ou le rapport, de le transformer, de le rendre plus convivial, sans pour autant porter atteinte à sa rigueur scientifique. Ce qui permet non seulement d’avoir accès à une cible plus globale, mais aussi de la placer dans une perspective transdisciplinaire.
Quantitativement, les produits éditoriaux locaux ont également des insuffisances. Les ouvrages scientifiques sont très exigeants. Ils déploient de nombreux paratextes et hors textes (cartes, photos…). Toutes choses qui renchérissent à la fois les coûts de production et au final le prix de vente à l’unité. Ne pouvant valablement faire face à tous ces paramètres sans appui institutionnel solide, sans soutien du secteur privé, les éditeurs se résignent à des tirages purement confidentiels et clandestins (entre 100 et 1000 exemplaires). L’on assiste alors à des ouvrages qui aussitôt arrivés sur le marché, disparaissent aussitôt. Juste de quoi satisfaire l’égo de l’auteur qui vient ainsi d’enrichir sa biographie ou alors celui de l’éditeur qui, par la même occasion, voit son catalogue augmenter d’une ligne supplémentaire.
Au bout du compte, l’édition scientifique locale donne l’allure d’une œuvre de charité, ou l’éditeur publierai pour aider l’auteur, pour le « lancer », comme cela se dit dans le jargon de la rue. A défaut, certains auteurs n’hésitent pas à payer de leurs poches, les frais relatifs à l’édition, voir à la promotion de leurs propres ouvrages. Ce faisant, l’édition du type scientifique refuse-volontairement ou involontairement-de s’intégrer dans une dynamique économique de production de capitaux.
À un deuxième niveau, l’édition scientifique est plombée par un désordre institutionnel flagrant. Il est de notoriété publique qu’un système universitaire digne de ce nom ne peut se départir de l’obligation de mettre sur pied un système éditorial digne de prendre en charge les travaux universitaires et d’assurer la promotion de ses chercheurs. C’est pourquoi, les presses universitaires sont créées et promues partout dans le monde (PUF, Cambridge University Press etc.).
Au Cameroun, nous avons tous salué en 1996, la création des Presses Universitaire de Yaoundé, projet soutenu par la coopération française. Cette structure a donné à lire à la communauté scientifique du Cameroun et d’ailleurs, une gamme variée de productions allant de la littérature générale à aux sciences humaines et sociales en passant par les sciences exactes. Cependant, notre espoir n’a pas duré longtemps, lorsque nous avons été sidérés de constater qu’à la fin de la subvention de la partie française, la partie camerounaise n’a pas pu poursuivre le financement des activités des Presses universitaires de Yaoundé, abandonnant à la nouvelle équipe dirigeante camerounaise, sans moyens, de gérer un si important projet. Plus grave encore, alors que l’on attendait du Ministère de l’enseignement supérieur des appuis pour sortir cette entreprise de la torpeur, nous avons été surpris d’entendre dans les couloirs du ministère de la recherche scientifique, un projet de création d’une autre maison d’édition chargé d’éditer des ouvrages d’universitaires.
À un troisième niveau, le constat est que l’édition des ouvrages scientifiques est presque abandonnée aux mains de la coopération étrangère : coopération française, coopération canadienne, fondation allemande Friedrich Ebert etc. a ce niveau les éditions étrangères se taillent la part du lion : Karthala à Paris, L’Harmattan à Paris, Maisoneuve et Larose, Paris etc.
Il s’agit là d’autant de pesanteurs qui réduisent les chances réelles d’une véritable dynamique éditoriale indépendante et autonome susceptibles de prendre en charge des aspirations et mise en perspectives des forces vives africaines. Depuis la création du Nepad par exemple, il y a eu de fortes productions scientifiques pour accompagner les réflexions. Mais où ont-elles été éditées ? A Paris, à Londres, bref en occident. Même le Président Wade, l’un des principales forces de proposition de ce processus a du publier son plan d’action dans un ouvrage édité en France, chez Laffont.
Cependant, ces différentes pesanteurs et obstacles n’obèrent pas le place que devrait occuper l’édition scientifique dans la résolution des problèmes de l’Afrique actuelle.