Entretien entre Alex Kipre et le patron-fondateur des édition Michel Lafon. Ambitions, partenariat, mainmise… Le propos de M. Lafon fait se poser pas mal de questions. Extraits.
Le directeur de la maison d’édition française apporte ses nuances sur un marché éditorial où, d’après A. Kipre, « la larme à l’œil, les acteurs font étalage de leurs difficultés ».
Selon M. Lafon « [c]oncernant le parascolaire, c’est la multiplication des pays, la multiplication des exemplaires qui ouvrent les portes du succès. Cela dit, tout le monde se plaint, mais il ne faut pas trop pleurer parce qu’il faut reconnaître que le livre peut nourrir son homme. La réussite arrive après beaucoup de temps et un bon investissement. Un peu comme dans toute activité d’ailleurs ».
Un marché qui connaitrait une profession de 2 à 3 % tous les ans : « Nous avons des appréhensions certes, mais pour l’instant, nous ne sommes pas victimes du téléchargement. Il se dit que les lecteurs préfèrent toujours le papier. En ce qui concerne les grandes maisons d’édition, je peux le dire, on s’en sort bien ».
Les éditions Michel Lafon peuvent revendiquer des chiffres très conséquents, avec « 200 livres par an effectivement. C’est beaucoup, mais c’est assez diversifié. Ce chiffre prend en compte toutes les tendances confondues : roman, biographie, essai, album photos, etc. ».
À la question « pensez-vous qu’un éditeur gagne à ratisser large ou à se spécialiser ? », le directeur répond « Odile Jacob […] par exemple est spécialisée. Elle n’édite que des livres relatifs au développement personnel, la confiance en soi, etc. Elle est numéro 1 dans ce créneau. A Lafon, nous avons plusieurs secteurs. Pour toujours avoir un équilibre, ceux qui marchent viennent suppléer les déficiences de ceux qui sont à la traîne jusqu’à ce que ces derniers se relèvent ».
Le projet des éditions Lafon retient « que les prix ne sont pas adaptés pour les livres en Afrique. Aujourd’hui, il y a une bonne imprimerie qui s’est montée au Togo ; en Côte d’Ivoire, Fraternité Matin est en train de monter la sienne. Si on supprime le bateau, la douane et qu’on parvient à imprimer sur place en Afrique, on envisage de faire nos best-sellers qui coûteront moins de 5000 Fcfa […]. Le handicap actuel est que le livre arrive de France et les mêmes prix sont transposés ici dans un univers aux réalités complètement différentes où le pouvoir d’achat est plus faible. Il faut tenir compte de la faiblesse du pouvoir d’achat ».
Et une priorité : « éditer des livres à la portée de tous. On va se battre pour ne pas atteindre les 5000 Fcfa. Nous allons baisser le coût du livre en Afrique ».
Interrogé sur sa connaissance de la littérature ivoirienne, M. Lafon répond : « Je ne connaissais pas d’auteurs ivoiriens, mais à la faveur de la réalisation du recueil de nouvelles coédité par Frat-Mat éditions et nous, Michel Lafon, je peux vous assurer que la Côte d’Ivoire compte de sacrés talents. Et je dois l’avouer, je suis aussi là pour dénicher des talents et les éditer. Comme auteurs africains, je connais Gaston Kelmann, l’auteur de Je suis nègre et je n’aime pas le manioc, dont j’ai aimé la finesse, l’écriture. Nous travaillons ensemble. C’est lui mon conseiller pour la zone Afrique ».
Michel Lafon adressera enfin une petite pique à l’attention de ses homologues de la triade « Galligrasseuil » trustant les prix littéraire hexagonaux : « Je ne crois pas en la crédibilité des prix littéraires, parce que ce sont des auteurs qui se réunissent, alors qu’ils appartiennent à des maisons d’édition. Excusez-moi de le dire ainsi, parce que ce n’est pas valorisant pour le monde du livre. Mais si Gallimard a 5 représentants que Grasset en a 2, Albin Michel 1, ils s’entendent et, à tour de rôle, se rendent service en décidant de favoriser un auteur dont le succès leur profite. Cela, au mépris de la valeur réelle des auteurs et de leurs ouvrages. Je suis navré de le dire, mais c’est comme cela que ça se passe ».
D’après un entretien réalisé par Alex Kipre publié dans Fraternité Matin (Côte d’Ivoire).